Monday, June 29, 2015

Mariage pour tous: une grande avancée pour les droits civiques

Compte tenu du retentissement justifié de la décision de la Cour suprême dans l'affaire du "mariage gay" (Obergefell v. Hodges, 576 U.S. ___, (2015)), et de l'avalanche de commentaires qu'elle a suscité, il est difficile, avant de pouvoir se livre à des analyses plus longues et plus approfondies, d'ajouter quoi que ce soit d'original.

La Cour, par une majorité de 5 contre 4 (les quatres juges progressistes et le juge Kennedy, qui a rédigé l'opinion majoritaire), a conclu que le XIVème amendement oblige les Etats fédérés à accepter le mariage entre personnes de même sexe et à reconnaître les unions de ce type conclues dans d'autres Etats. Elle a jugé que la prohibition du mariage entre personnes de même sexe est doublement inconstitutionnelle. D'une part, le mariage, y compris entre personnes de même sexe, est un droit fondamental que les Etats ne peuvent enfreindre sans méconnaître les garanties du "due process of law" contenues dans le XIVème amendement. D'autre part, la prohibition du mariage homosexuel méconnaît également le principe d'égale protection devant les lois reconnu par cet amendement.

Compte-tenu de l'importance de l'affaire, il y a eu autant d'opinion dissidentes que de juges dans la minorité. Le chief justice Roberts, tout en exprimant une totale désapprobation, a tenu à garder une certaine sobriété. Tout en reconnaissant que, sur le fond, il y avait de solides considérations justifiant la fin des restrictions au mariage, il a indiqué que la Cour, selon lui, sortait de son rôle de gardienne de la Constitution. Mais il a indiqué que "la Cour n'est pas une législature" et que le rôle des juges "est de dire le droit tel qu'il est, et non tel qu'il devrait être".

Le juge Scalia n'a pas partagé cette retenue et a formulé contre la majorité des accusations des propos violemment accusateurs. Dès l'introduction de son opinion dissidente, il indique vouloir attirer l'attention sur "la menace que fait peser la Cour sur la démocratie américaine". Le reste est à l'avenant. Il qualifie la décision de "putsch judiciaire" et met en cause l'hubris (=l'orgueil démesuré) de la majorité, qui aurait substitué son jugement à celui du peuple américain. Au passage, il prend personnellement à partie le juge Kennedy, connu pour son style emphatique, en indiquant que "l'opinion (de la majorité) est couchée dans un style aussi prétentieux que le contenu de la décision est égotiste".

Au delà du bruit et de la fureur des opinions dissidentes, on peut quand même noter un point essentiel, qu'on avait déjà évoqué dans un précédent post consacré à l'affaire. Sur le fond, quasiment aucun juge de la Cour ne s'est livré à une justification de la prohibition du mariage entre personnes de même sexe. Seul le juge Alito s'est livré à quelques remarques anthropologiques sur ce qui serait, selon lui, la fonction de l'institution matrimoniale.

On peut mesure le chemin parcouru depuis 1986, lorsque la Cour avait admis, dans l'affaire Bowers v. Hardwick, la Constitutionnalité des lois dites "anti-sodomie" (sic) encore en vigueur dans de nombreux Etats. A cette époque, le chief justice Burger avait tenu à rédiger une opinion concurrente d'un paragraphe dans laquelle il avait rappelé que la prohibition de l'homosexualité était "aussi vieille que la civilisation occidentale" et que la condamnation de ces pratiques est "fermement enracinée dans la morale judéo-chrétienne et dans ses standards éthiques". Il avait été jusqu'à rappeler que le juriste anglais Blackstone considérait qu'il s'agissait d'un "infâme crime contre la nature", dont la seule mention était une "disgrâce", et qui était même "indigne d'être nommé".

Quand on se remet ainsi en mémoire ce qu'était, il y a trente ans, l'état des lois et des moeurs sur la question, on comprend mieux en quoi la décision de la Cour, est avant tout une "grande avancée pour les droits civiques" (E. Chemerinski).

Tuesday, June 23, 2015

Spiderman et la Cour Suprême

La Cour Suprême des Etats-Unis s'occupe de choses sérieuses et de sujets graves. On le verra dans quelques jours, et peut-être dès demain, lorsqu'elle rendra ses décisions dans l'affaire du mariage entre personnes de même sexe et dans celle de l'Obamacare. Mais, parfois, la Cour s'accorde aussi des moments de détente.

Dans une affaire de propriété intellectuelle qui opposait la société de bandes-dessinées Marvel (à qui l'on doit tout un panthéon de super-héros, dont Spiderman, Hulk, Iron-Man, X-Men, Avengers, etc.) à un détenteur de brevets, la juge Kagan s'en est donné à coeur joie. L'affaire portait -ça ne s'invente pas!- sur le brevet d'une invention mise au point par un certain M. Kimble en 1990. L'inventeur, s'inspirant des aventures de Spider Man (l'homme araignée, comme on disait quand j'étais petit), avait mis au point et breveté un jouet permettant de projeter une simili-toile d'araignée, à la manière de Spiderman. A la suite d'un contentieux entre l'inventeur et Marvel, qui avait commercialisé un jouet similaire, les parties convinrent d'une transaction, par laquelle l'inventeur se voyait offrir 3% de royalties sur les ventes du jouet, aussi longtemps que celui-ci serait en vente.

Mais les avocats des parties avaient oublié un léger détail: dans un arrêt rendu quelques décennies  auparavant (l'arrêt Brulotte, rendu en 1964), la Cour suprême avait jugé qu'il n'est pas légalement possible de reconnaître à un inventeur le droit de continuer à percevoir des royalties sur un brevet expiré. Or, le brevet expirait en 2010.

La question posée à la Cour était de savoir si elle allait revenir sur la solution de l'arrêt Brulotte. La Cour répond à la question par la négative, dans un arrêt facétieux, truffé de référence aux super-héros. Dans l'opinion majoritaire, la juge Kagan note que "les brevets confèrent à leur détenteur des super-pouvoirs, mais pour une durée limitée" (un peu comme la potion magique, en somme). Après avoir rappelé le contenu de l'arrêt, elle se livre à une discussion juridique sur les conditions requises pour que la Cour revienne sur une solution antérieur et déroge au principe de stabilité juridique (stare decisis). Elle distingue différentes formes de stare decisis, et rappelle le principe selon lequel, lorsque la cour tranche une question qui ne relève pas du droit constitutionnel, c'est en principe au législateur de décider s'il veut faire évoluer le droit, plutôt qu'à la Cour de modifier sa jurisprudence. Elle qualifie ce principe de "stare decisis investie de superpouvoirs" et note que, dans ce cas, la justification pour le revirement de jurisprudence doit être "superspéciale".

Mais la cerise sur le gâteau est la conclusion de l'arrêt, où la juge cite Stan Lee (le scénariste créateur de Spiderman) dans le texte. Pour expliquer le principe de stabilité juridique, qui impose à la cour de ne pas faire évoluer sa jurisprudence au gré de sa seule fantaisie, la juge Kagan indique que "Dans ce monde, avec de grands pouvoirs viennent de grandes responsabilités". La citation exacte, que tous les fans de l'homme en collants bleus et rouges auront reconnue, est tirée de l'ouvrage suivant : S. Lee and S. Ditko, Amazing Fantasy No. 15: “SpiderMan,” p. 13 (1962). SpiderMan fait ainsi son entrée dans la littérature juridique.

Comme on l'a rappelé, toutefois, ce moment de détente devrait être bref, car les affaires du mariage gay et de l'Obamacare attendent la Cour, et l'ambiance sera nettement moins détendue. Mais c'est qu'avec de grands pouvoirs, etc., etc.