Tuesday, March 31, 2015

Régularisation en suspens : plus de 3 millions d'étrangers concernés

Dans la dernière livraison du magazine New Yorker, le journaliste Jeffrey Toobin, un des meilleurs spécialistes de la Cour suprême, fait le décompte des grands projets du président Obama qui sont actuellement contestés devant les tribunaux, avec plus ou moins de succès. On y retrouve, sans surprise : la loi sur l'assurance santé (l'Obamacare), le programme DACA/DAPA de régularisation des étrangers sans papiers (qui a été suspendu par un  juge fédéral du Texas en début d'année, et dont le sursis à exécution sera prochaiment soumis à l'examen de la Cour d'appel fédérale du 5ème circuit), la décision de l'autorité des télécommunications (FCC) sur la neutralité du net, et à peu près toutes les décisions prises par l'agence de l'environnement (EPA) en matière de pollution de l'air et de changement climatique.

Même si la judiciarisation de la vie politique et constitutionnelle ne date pas d'hier, et constitue une constante de la vie politique américaine, Jeffrey Toobin estime, reprenant en cela les propos du président lui-même dans une interview donnée l'année dernière, que la paralysie du pouvoir législatif a accentué la situation depuis quelques années. En effet, face à l'impossibilité de faire adopter de nouvelles loi par le Congrès, le président serait contraint de passer lui même à l'action, ce qui pose des difficultés de compétence (NB: sans rentrer dans les détails, le pouvoir réglementaire du président des USA est beaucoup plus limité que celui de son homologue français sous la Vème République)

En 1986, par exemple, le Congrès avait réussi à adopter le principe d'une large régularisation, alors que toute tentative de réforme de l'immigration est bloquée par le Congrès actuel. Toute tentative en ce sens a échoué au cours des dernières années, malgré le recours à des procédés destinés à recueillir un accord bipartisan (comme l'élaboration de projets par un groupe mixte Républicains-Démocrates). Dans ce domaine, le président a décidé de prendre les choses en main, et d'utiliser son pouvoir d'appréciation dans la mise en oeuvre des lois ("prosecutorial discretion") afin de concocter une simili-régularisation d'une partie des 11 millions d'étrangers en situation irrégulière, dont personne ne peut sérieusement penser qu'ils seront tous éloignés des Etats-Unis. Aux Etats-Unis, la régularisation est considérée comme du domaine du législateur (à la différence de ce qui se passe en France). Pour contourner la difficulté, le principe consiste, pour l'Exécutif, à suspendre toute mesure d'éloignement contre certaines catégories d'étrangers et de leur délivrer une autorisation provisoire de séjour et de travail (d'une durée de deux ans). Mais ce procédé est critiqué par les Républicains, qui estiment que le président va bien au delà de l'exercice d'un simple pouvoir d'appréciation, et s'arroge un pouvoir normatif qui ne lui appartient pas.

La première vague de régularisations a eu lieu dans le cadre du programme DACA, destiné aux jeunes majeurs étrangers scolarisés aux USA, et a permis de régulariser de l'ordre de 700 000 personnes.  Mais la deuxième vague de régularisations, qui consistait à étendre légèrement le programme DACA (en supprimant la limite d'âge de 30 ans pour déposer une demande) et, surtout, à régulariser les parents étrangers d'enfant citoyens américains ou titulaires du statut de résident (le programme DAPA), vient de faire l'objet d'une suspension par un juge fédéral. Saisi par un groupe d'Etats gouvernés par les Républicains (notamment le Texas et l'Arizona), le juge a estimé que la mise en oeuvre du plan de régularisation aurait des conséquences difficilement réparable et qu'il existait un doute sur sa légalité -pour une raison de procédure, tenant à l'absence d'enquête publique. Un autre groupe d'Etats, menés par l'Etat de Washington, et comprenant notamment la Californie, est intervenu est en défense de la mesure par voie d'amicus brief. Ils ont fait valoir que non seulement la régularisation ne leur causerait aucun préjudice, mais qu'ils en attendaient de nombreux bénéfices économiques et sociaux. Le nombre de bénéficiaires potentiels du DAPA est estimé à 3,7 millions de personnes (d'après le Migration policy institute). Ce sont donc autant de personnes dont l'avenir va se jouer dans les procédures en cours.

Monday, March 23, 2015

Le triangle des Bermudes

Jamais à court d’imagination pour mettre des bâtons dans les roues de l’administration Obama, quarante-sept sénateurs républicains ont adressé, il y a quelques jours, un courrier aux dirigeants iraniens pour « porter à leur attention » les pouvoirs du Sénat américain en matière de conclusion de traités internationaux. Le courrier indique notamment que tout traité conclu dans le cadre de la négociation nucléaire devrait recevoir l’aval d’une majorité des deux tiers du Sénat américain préalablement à sa ratification par le Président. Dans le cas contraire, il s’agirait d’un simple « executive agreement », sur lequel le prochain président des Etats-Unis serait libre de revenir à sa guise.  A la suite du courrier, chacun y est allé de sa petite leçon de droit constitutionnel et international, sous l’œil goguenard des dirigeants iraniens.

Sans remonter au traité de Versailles et à la SDN, on peut rappeler que le Sénat américain a souvent fait figure, au cours des dernières décennies, de « triangle des Bermudes » pour les traités internationaux : tous n’en sont pas ressortis.  Parmi quelques exemples  particulièrement marquants  de cette réticence :
                -la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS, ou Convention de Montego Bay), ouverte à la signature en 1982, et qui compte aujourd’hui  plus de 160 Etats parties, n’a jamais réussi à franchir la barrière du Sénat américain. A l’origine, les réticences étaient communes à l’Exécutif et au Congrès, et portaient sur le régime des fonds marins. Mais cette objection a perdu sa portée depuis la révision de la convention sur ce point, en 1994. Malgré le soutien à la ratification exprimé par les présidents Bush et Obama, une nouvelle tentative pour obtenir l’accord du Sénat a échoué en 2012.
                -la convention internationale sur les droits de l’enfant  de 1990 : elle a été ratifiée par quasiment tous les Etats des Nations-Unies, sauf les Etats-Unis  et la Somalie (la ratification étant, sauf erreur, en cours au Sud Soudan). Le président Obama a décrit cette non-ratification comme une source d’embarras, mais l’opposition du Sénat étant connue, le texte n’y a même pas été présenté.
                -le pacte international sur les droits civiques et politiques de 1966 : il a bien réussi à franchir le cap du Sénat, et a pu être ratifié en 1992, mais la ratification a été assortie de 14 réserves et déclarations interprétatives (d’une validité douteuse au regard du droit international  coutumier des traités), si bien que le statut d’Etat-partie des Etats-Unis est largement symbolique.


Et l’inventaire est loin d’être exhaustif.

Friday, March 20, 2015

Au théâtre ce soir

Pouvez-vous imaginer qu'une pièce de théâtre consacrée à Jean-Louis Debré fasse ses débuts sur les grands boulevards? C'est à peu près ce qui est en train de se passer aux Etats-Unis, où une pièce consacrée à Antonin "Nino" Scalia, un des neufs juges de la Cour suprême, fait ses débuts ces jours-ci à Broadway. La pièce s'intitule "The originalist", du nom de la théorie de l'interprétation constitutionnelle que le juge conservateur Scalia se flatte d'incarner depuis de nombreuses années. Pour aller très (très) vite, cette théorie, dans sa variante développée par A. Scalia, repose sur l'idée que la Constitution des Etats-Unis doit être interprétée conformément au sens commun des mots à l'époque de son adoption c'est à dire, notamment, en refusant toute idée d'interprétation "vivante" ou "constructive" de la Constitution destinée à l'adapter au monde contemporain.

Ce n'est pas la première fois, loin de là, que la Cour suprême est mise en scène dans le théatre, le cinéma ou la culture populaire américaine. On peut retrouver dans Wikipedia un inventaire assez complet de ces apparitions. On se souviendra, notamment, du film Amistad de Steven Spielberg, consacré à une affaire jugée par la Cour en 1841 et portant sur la traite des esclaves, ou du film Larry Flint, consacré à la vie et aux tribulations judiciaires d'un éditeur de magazines à destination d'un public essentiellement masculin. Dans le domaine de la pure fiction, on évoquera le film l'Affaire Pélican tiré du roman homonyme de John Grisham (NB: film qui m'a donné l'idée de mon premier sujet de cas pratique). Parmi les oeuvres à ma connaissance non diffusées en France, figurent entre autres choses un téléfilm consacré à l'affaire Gideon v. Wrainwright (1963) qui consacra le droit, pour les personnes à faibles revenus,  à l'assistance gratuite d'un avocat en manière criminelle : Henri Fonda y incarne le prisonnier qui fut à l'origine de cette affaire. De manière plus diluée et subliminale, on pourra aussi rappeler que chaque qu'un policier déclare, dans une série américaine, "Vous avez le droit de garder le silence... etc.", il met en oeuvre un principe dégagé par la Cour suprême dans l'affaire Miranda c. Arizona (1966).

Cette présence cinématographique importante est peut-être la raison pour laquelle un petit plaisantin ou un algorithme débridé ont concocté, dans l'encyclopédie cinématographique en ligne IMDB, une notice biographique consacrée à un certain Earl Warren, acteur. La notice mentionne, dans la rubrique "divers", que l'intéressé était aussi "Chief Justice"(président) de la Suprême)...

Monday, March 16, 2015

Il n'est jamais trop tard pour bien faire

Dans un arrêt rendu ce jour, la Cour suprême de Californie (la juridiction suprême de l'Etat de Californie, à ne pas confondre avec la Cour suprême des Etats-Unis) vient d'offrir une réhabilitation symbolique et posthume à une victime de la discrimination raciale et, plus précisément, des lois dirigées contre l'immigration asiatique.

Comme l'expose le Los Angeles Times, elle vient en effet, à l'unanimité, de faire droit à la demande d'inscription au barreau de Californie d'un avocat d'origine chinoise, Hong Yen Chang, qui s'était vu refuser son inscription au barreau... en 1890! Hong Yen Chang, ressortissant chinois, entra aux Etats-Unis en 1872 en qualité d'étudiant, et obtint dans les années qui suivirents des diplômes de l'université de Yale et de la faculté de droit de Columbia. Il sollicita son inscription au barreau de New-York, mais celle-ci lui fut refusée dans la mesure où il n'avait pas la nationalité américaine (ce qui, à l'époque, était une condition d'inscription). Il sollicita alors sa naturalisation, qui lui fut accordée en 1888 par un juge de New-York, et qui lui permit de s'inscrire au barreau de New-York cette même année.

Mais en 1890, Hong Yen Chang, qui désirait s'établir en Californie, vit sa demande d'inscription au barreau de cet Etat rejetée. Les juridictions californiennes estimèrent que le certificat de nationalité de Hong Yen Chang, obtenu devant un juge de New-York, était nul et non avenu, dans la mesure où il était contraire à la (tristement célèbre) loi d'exclusion des chinois de 1882. Elles en conclurent que Hong Yen Chang, de "race mongole" (sic) ne pouvait se prévaloir de la qualité de citoyen américain et, par suite, obtenir son inscription au barreau.

La demande d'inscription posthume de Hong Yen Chang est le résultat d'une initiative d'une associations d'étudiants (l'APALSA) de l'Université de Californie (Davis) et d'un professeur de cette université, Jack Chin. Comme le rappelle le blog ImmigrationProf, elle fait suite à des initiatives similaires dans les Etats de Washington et de Pennsylvanie, qui ont permis d'obtenir des inscriptions posthumes de victimes des lois raciales.

L'affaire n'est pas sans rappeler, dans un autre ordre d'idée, la procédure de révision (coram nobis) qui permit la réhabilitation, en 1983, de Fred Korematsu, ressortissant américain d'origine japonaise injustement interné durant la deuxième guerre mondiale, et qui avait contesté à l'origine sans succès son internement devant la Cour suprême des Etats-Unis (Korematsu v. United States, 1944). Une équipe d'historiens et d'avocats (notamment l'historien Peter Irons et l'avocat Dale Minali) obtint la révision d'une des condamnations pénales qui avait été prononcée dans le cadre de cette affaire (étant précisé, toutefois, que Fred Korematsu était bien vivant en 1983, à la différence Hong Yen Chang).

Thursday, March 12, 2015

Obamacare, le retour : l'affaire King v. Burwell

Le 4 mars dernier, tous les regards étaient tournés vers la Cour Suprême des Etats-Unis, qui tenait son audience dans l'affaire consacrée à la réforme de l'assurance-santé (familièrement surnommée l'Obamacare). La presse française en a déjà rendu compte, et notamment Le Monde, dans un article de Gille Paris. L'intérêt juridique de l'affaire est inversement proportionnel à l'enjeu de la question posée.

L'enjeu pratique est de savoir si, dans 34 Etats des Etats-Unis, les américains de revenus modestes pourront continuer à bénéficier d'un crédit d'impôt sur le revenu (qui est l'équivalent d'une subvention) pour souscrire une assurance santé. Environ 7 millions de personnes seraient concernées.

La controverse juridique à l'origine de cette interrogation tient à la rédaction de quatre mots de l'obscure section 36B nichée quelque part dans les 900 pages (!) de la loi. La loi, qui a rendu la souscription d'une assurance santé obligatoire, a institué des marchés d'assurances  (en pratique, des sites internets où les assureurs proposent leurs contrats) où les consommateurs peuvent être mis en rapport avec un assureur et choisir leur contrat s'ils ne sont pas déjà assurés. Elle a également institué le principe d'un crédit d'impôt de l'Etat fédéral pour permettre aux  personnes à revenus modestes de supporter le coût de leur assurance santé.

Mais la loi prévoit que ce crédit d'impôt sera disponible sur les marchés d'assurance "établis par l'Etat" ("established by the State"). Or, aux Etats-Unis, l'appellation "the State" ne désigne pas l'Etat fédéral -l'Etat central, dirait-on en France-, mais un des Etats fédérés (comme la Californie ou la Virginie). Or, 16 Etats seulement ont mis en place leur propre marché d'assurance. Les autres Etats ont choisi, pour marquer leur opposition à la loi, de ne pas créer leur propre marché et de laisser l'Etat fédéral le faire à leur place.

Les auteurs du recours soutiennent, sur la base d'une interprétation purement littérale de la loi, que dans les 34 Etats où le marché de l'assurance est géré par l'Etat fédéral, le crédit d'impôt n'est pas disponible. Les défenseurs de la loi font tout simplement valoir qu'il n'a jamais été question, pendant les semaines de débats parlementaires, d'instaurer une telle limitation, qui irait au demeurant totalement à l'encontre de l'objet et du but de la loi et de son économie générale.

L'affaire s'inscrit dans le cadre d'une guérilla juridique contre la loi, menée par la frange la plus conservatrice des milieux d'affaire et des Républicains, qui voient dans cette loi le premier pas sur la  pente glissante vers le "socialisme".

Comme pour toutes les affaires importantes, l'arrêt est attendu à l'extrême fin de l'année judiciaire 2014-2015 (le "term", dans la terminologie de la cour), c'est à dire dans les derniers jours de juin ou les premiers jours de juillet.

Pour en savoir plus : le dossier complet de Scotusblog et un excellent article de Jeffrey Toobin dans le New Yorker

Wednesday, March 11, 2015

Selma

 Le film Selma, de Ava DuVernay sort aujourd'hui en France. Il consacré à un épisode important du combat pour les droits civiques (la marche de Selma à Montgomery, Alabama, en 1965), qui permit de faire pression sur le Congrès pour l'adoption du Voting Rights Act de 1965. Je ne saurais trop le recommander. Le film est à la fois très bien écrit et réalisé, et très intéressant d'un point de vue historique, même s'il comporte d'inévitables raccourcis.

Un des intérêts du scénario, axé sur le rôle de Martin Luther King, est de présenter également d'autres acteurs importants du mouvement sur les droits civiques, un peu moins connus en France. On peut notamment apercevoir dans le film les personnages de Diane Nash (une ligne dans la version française de Wikipédia!) ou John Lewis, à l'époque responsable d'une organisation qui joua un rôle essentiel d'aiguillon dans le mouvement des droits civiques, le SNCC (Student Non Violent Coordinating Committee) (NB : une bande dessinée qui lui est consacrée est sortie en français l'année dernière).

Parmi les raccourcis qu'on peut regretter, le traitement du président Lyndon B. Johnson, qui n'est pas présenté sous un jour très favorable. Or, il faut tout de même rappeler que, s'il a agi sous la pression du mouvement des droits civiques, et en trainant les pieds, il fut un des seuls présidents à pouvoir se targuer d'une action législative énergique en la matière (cf. par contraste, le maigre bilan de la présidence Kennedy sur le sujet). Cette action valut d'ailleurs à son parti, le Parti Démocrate d'être quasiment rayé de la carte électorale dans son ex-bastion des Etats du Sud, aujourd'hui acquis aux Républicains.

PS : Pour ceux qui s'intéressant à l'aspect juridique de la discrimination raciale en matière électorale et des efforts législatifs pour la faire disparaître, vous pouvez aller voir ici. (attention, c'est de l'autopromotion). Sinon, il y a un très bon dossier pédagogique sur le site Zero de conduite, avec une interview de l'historien Pape Ndiaye. qui fait une présentation complète du cadre historique du film.

Tuesday, March 10, 2015

Montesquieu a toujours sa table à la Cour suprême

Les bordelais peuvent être fiers (il parait que c'est leur spécialité) : une opinion de la Cour suprême vient une fois de plus de faire référence à Montesquieu. La Cour suprême a rendu hier sa décision dans une affaire Perez v. Mortgage Banker Association,. L'affaire elle-même, bien que fort intéressante pour ceux qui s'intéressent au droit administratif américain -il y en  a-, est un peu technique. La question était de savoir si, lorsque l'administration modifie par une nouvelle circulaire l'interprétation d'un texte qu'elle a donnée une circulaire précédente, elle doit procéder de la même manière que lorsqu'elle édicte une nouvelle circulaire, c'est à dire en sollicitant les commentaires du public sur le projet de circulaire (la procédure de "notice and comment", qui est une sorte d'enquête publique). A l'unanimité, la Cour répond à cette question par la négative et jette aux oubliettes la théorie en vigueur depuis plusieurs années devant la cour d'appel fédérale de Washington DC, qui estimait que la modification d'une circulaire interprétative doit être soumise aux commentaires préalables du public.

Dans une opinion concurrente (p. 5-6 de l'opinion provisoire), le juge Clarence Thomas se fend d'un petit développement sur la séparation des pouvoirs, qu'il assortit de références à John Locke et à Montesquieu (L'esprit des lois, Livre XI). A l'heure où les références au droit comparé se font un peu rares dans les opinions de la Cour -pour éviter les polémiques inutiles, sans doute-, on peut donc se féliciter que les philosophes des Lumières aient toujours les faveurs de la Cour. Dans le passé, des arrêts de la Cour ont déjà fait référence à Montesquieu, Voltaire et Rousseau (il faudra me croire sur parole, je n'ai pas eu le temps de retrouver les références). Au registre des auteurs français, on notera que Tocqueville a fait aussi quelques apparitions. Enfin, dans les affaires portant sur le droit international, le juge Scalia est friand de référence à Emeric de Vattel (1714-1767), qui était suisse mais qui écrivait en français -voir notamment Arizona v. United States (2012).

Monday, March 9, 2015

Découpage électoral : qui doit tenir les ciseaux?

A la Cour suprême des Etats-Unis, c'est parfois comme à la SNCF : une affaire peut en cacher une autre. La semaine dernière, une grande partie de l'attention était focalisée sur l'affaire King v. Burwell, qui aura des conséquences importantes sur l'application de la réforme de l'assurance santé initiée par le Président Obama (la Cour devra, en substance, dire si les subventions fédérales pour la souscription d'une assurance santé sont disponibles dans tous les Etats ou, en raison d'une malfaçon législative, dans une partie d'entre eux seulement). Et, comme tout ce qui touche à l'Obamacare, l'audience consacrée a cette affaire était très attendue, car le sujet est politiquement très sensible.

Mais, deux jours plutôt, une autre affaire importante (Arizona State legislature v. Arizona independent restricting commission) était venue à l'audience devant la Cour. Cette affaire concerne les modalités du découpage électoral pour les élections au Sénat et à la Chambre des représentants.

Les contestations relatives au découpage électoral ne sont pas l'apanage des Etats-Unis, et sont presque aussi vieilles que le régime représentatif. On se souvient, en France, de la controverse sur le redécoupage opéré en 1987 à l'initiative de Charles Pasqua, ministre de l'Intérieur, qui avait donné lieu à une mémorable affiche sur le thème "charcutage électoral, charcutage des libertés". Mais il y a aussi, dans la vie politique américaine, une solide tradition de découpage des circonscriptions sur mesure pour avantager tel ou tel camp. Il y a même un mot spécial pour désigner cette activité, "gerrymandering", dérivé du nom d'un gouverneur de l'Etat du Massachussets -un certain Gerry- qui, en 1812, opéra un découpage sur mesure dont une des circonscriptions avait la forme d'une salamandre.

Pour mettre un terme aux polémiques sur le découpage partisan des circonscriptions, les électeurs de certains Etats ont utilisé la procédure de référendum d'initiative populaire pour faire adopter le principe du découpage par une commission indépendante, plutôt que par les assemblées représentatives des Etats -qui peuvent être tentées d'avantager le camp majoritaire. C'est le cas en Arizona, depuis l'année 2000, mais aussi en Californie, depuis 2010.

Le problème, c'est qu'une disposition de la Constitution américaine, la subdivision 1 de la section 4 de de l'article 1re prévoit que "Le temps, le lieu et les modalités des élections des Sénateurs et des Représentants seront fixés dans chaque Etat par la législature dudit Etat ; mais le Congrès pourra à tout moment édicter des règles ou les modifier, sauf en ce qui concerne le lieu de l'élection des Sénateurs" (The Times, Places and Manner of holding Elections for Senators and Representatives, shall be prescribed in each State by the Legislature thereof; but Congress may at any time make or alter such Regulations, except as to the Place of chusing Senators).

La législature de l'Etat de l'Arizona estime que cette disposition doit faire l'objet d'une interprétation littérale, et que les pouvoirs qu'elle prévoit ne peuvent être exercés que par les assemblées des Etats, et non par des procédés de démocratie directe (dans les Etats où ils existent, comme en Arizona ou en Californie). Si la Cour lui donnait raison, cela pourrait remettre en cause le découpage opéré, et redonner la main au corps législatif de ces Etats pour découper les circonscriptions. Or, certains d'entre eux ont un poids électoral considérable, comme la Californie.

Pour en savoir plus : un article de Bob Egelko dans le San Francisco Chronicle 

Saturday, March 7, 2015

Ceci n'est pas un blog de cinéma

Ami(e)s lecteurs, vous qui passez par là : ceci n'est pas un blog de cinéma. Bien que le titre en soit un hommage au grand Alfred et à un de ses meilleurs films (Rear window,  "Fenêtre sur cour" dans la traduction française), ce blog est consacré au droit et au système judiciaire des Etats-Unis -et en particulier à la Cour suprême. Il a pour but de donner, à destination d'un public français ou francophone, un éclairage ponctuel sur le système juridique américain, à travers l'actualité et l'histoire. En effet, s'il existe une infinité de sources en anglais sur le sujet, tant sur le papier que sur la toile, les sources en français sont plus réduites (mais pas inexistantes, on en reparlera). Nous espérons, à travers ce blog, faire un peu mieux connaître le droit et les juridictions d'outre-atlantique. Et pourquoi pas, au passage, régler leur compte à quelques idées reçues, susciter des vocations (objection, votre honneur!), ou éveiller les curiosités. Mais comme les introductions les plus courtes sont les meilleures, c'est le moment de se dire à bientôt, rendez-vous au prochain épisode!